LEVER LES TABOUS SOCIETAUX
REPENSER LES DOGMES ET FAIRE TOMBER LA DOXA /
DECONSTRUIRE LA DOCTRINE
Et les dogmes écrits par les rois.
Médias et livres scolaires nous disent-ils tout ?
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Ce ssont les gagnants des guerres d'empire qui écrivent l'histoire ! La culture, les cultes et les dogmes politiques sont le fruit d'un équilibre élaboré par les maîtres d'empire. Contrairement aux apparences et à une croyance répandue, les grandes crises sociétales modernes ( guerres & crises économiques ) ne sont pas ( ou que très rarement ) le fruit de problèmes matériels mais le résultat de conflits politiques, des guerres d'empire ou la conséquence des contradictions inhérentes aux dogmes ( économiques / politiques ). Ces crises n'ont pas de raisons d'être s'imposant par le fait de la nature et sont donc la conséquence de mauvaises décisions humaines. Prenez la crise actuelle énergétique en France 2022 / 2023 : L'envolée des prix n'est pas due à une pénurie ou à une insuffisance de production ... mais uniquement à des engagements politiques fallacieux, ... à l'abandon des filières énergétiques assurant notre autonomie !! La crise du système de santé n'est pas due à de vrais pandémies mais uniquement en conséquence de la déconstruction du système de santé et à une volonté de libéraliser totalement le domaine. L'actualité n'est pas la cause mais la conséquence. Tendre euphémisme, nos politiques n'incarnent plus l'intérêt général mais travaillent plutôt pour le bénéfice des lobbies qu'ils incarnent ( C'est pour eux la nouvelle forme de représentation ) ..., la conséquence d'ambition débridée, de corruption, de mauvaises foi à des fins d'enrichissement personnel pour une partie du corps social ( Système Oligarchique ).
Voyons en détail ces croyances et phénomènes idéologiques qui, par pudeur, tabou, politiquement correct, entraienent le chaos depuis toujours sans jamais être nommé précisément ...
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1- La religion du capitalisme
( un dogme de création / Répartition des richesses devenu incontestable sous peine d'excommunion implicite )
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Bernard Friot : « Le travail, c’est nous qui le faisons, pas les capitalistes »
Dans un livre avec Frédéric Lordon, Bernard Friot révèle la part du « déjà-là communiste » dans les institutions françaises. Un modèle, dit-il, pour renverser ce qui tue le vivant sans en être tenu pour responsable : le capitalisme.
Qu’il y ait la planète à sauver, tout le monde est d’accord. Mais à sauver de quoi et surtout de qui ? La question est rarement posée d’une manière aussi directe, y compris par ceux qui décrivent au mieux l’imminence du péril sur Terre comme Guillaume Pitron, auteur d’ouvrages sur l’écocide en cours dans l’arrière-cuisine de la « transition energétique ». Cette planète est a sauver du capitalisme et des capitalistes, répondent Bernard Friot, sociologue.
https://www.youtube.com/watch?v=vgczUgRu81k&ab_channel=BLAST%2CLesouffledel%27info
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___Même sujet___
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http://Le capitalisme comme religion : Walter Benjamin et Max Weber
https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-3-page-203.htm
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Parmi les papiers inédits de Walter Benjamin publiés en 1985 par Ralph Tiedemann et Hermann Schweppenhäuser dans le volume VI des Gesammelte Schriften (Suhrkamp Verlag), il y en a un qui est particulièrement obscur, mais qui semble d’une étonnante actualité : « Le capitalisme comme religion ». Il s’agit de trois ou quatre pages, contenant aussi bien des notes que des références bibliographiques ; dense, paradoxal, parfois hermétique, le texte ne se laisse pas facilement déchiffrer. Comme il n’était pas destiné à publication, son auteur n’avait, bien entendu, aucun besoin de le rendre lisible et compréhensible… Les commentaires suivants sont une tentative partielle d’interprétation, fondée plutôt sur des hypothèses que des certitudes, et laissant certaines « zones d’ombre » de côté.
2Le titre du fragment est directement emprunté au livre d’Ernst Bloch, Thomas Münzer, théologien de la Révolution, publié en 1921 ; dans la conclusion du chapitre dédié à Calvin, l’auteur dénonçait dans la doctrine du réformateur genevois une manipulation qui va « détruire complètement » le christianisme et introduire « les éléments d’une nouvelle “religion”, celle du capitalisme érigé au rang de religion (Kapitalismus als religion) et devenu l’Église de Mammon [1][1]Ernst Bloch, Thomas Münzer, théologien de la Révolution, Paris,…. »
3Nous savons que Benjamin a lu ce livre, puisque dans une lettre à Gershom Scholem du 27 novembre 1921 il raconte : « Récemment il [Bloch] m’a donné, lors de sa première visite ici, les épreuves complètes du “Münzer” et j’ai commencé à les lire [2][2]Walter Benjamin, Gesammelte Briefe, Francfort, Suhkamp, vol.…. » Il semblerait donc que la date de rédaction du fragment n’est pas le « milieu de 1921 au plus tard », comme indiqué par les éditeurs, mais plutôt fin 1921. Soit dit en passant, Benjamin ne partageait pas du tout la thèse de son ami sur une trahison calviniste/protestante du véritable esprit du christianisme [3][3]Sur le rapport de Benjamin à Bloch à ce sujet, cf. Werner….
4Le texte de Benjamin est, de toute évidence, inspiré par L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber ; cet auteur est deux fois cité, d’abord dans le corps du document, et ensuite dans les notices bibliographiques, où se trouve mentionnée l’édition de 1920 des Gesammelte Aufsätze sur Religionssoziologie, ainsi que l’ouvrage d’Ernst Troeltsch, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, édition de 1912, qui défend, sur la question de l’origine du capitalisme, des thèses sensiblement identiques à celles de Weber. Cependant, comme nous verrons, l’argument de Benjamin va bien au delà de Weber, et, surtout, il remplace sa démarche « axiologiquement neutre » (Wertfrei) par un fulminant réquisitoire anticapitaliste.
5« Il faut voir dans le capitalisme une religion » : c’est avec cette affirmation catégorique que s’ouvre le fragment. Il s’ensuit une référence, mais aussi une prise de distance par rapport à Weber : « Démontrer la structure religieuse du capitalisme – c’est à dire démontrer qu’il est non seulement une formation conditionnée par la religion, comme le pense Weber, mais un phénomène essentiellement religieux – nous entraînerait encore aujourd’hui dans les détours d’une polémique universelle démesurée ». Plus loin dans le texte la même idée revient, mais sous une forme quelque peu atténuée, en fait plus proche de l’argument wébérien : « Le christianisme, à l’époque de la Réforme, n’a pas favorisé l’avènement du capitalisme, il s’est transformé en capitalisme ». Ce n’est pas tellement loin de la conclusion de L’éthique protestante ! Ce qui est plus novateur c’est l’idée de la nature proprement religieuse du système capitaliste lui-même : il s’agit d’une thèse bien plus radicale que celle de Weber, même si elle s’appuie sur beaucoup d’éléments de son analyse. Benjamin continue : « Nous ne pouvons pas resserrer le filet dans lequel nous sommes pris. Plus loin cependant, ce point sera rapidement abordé ». Curieux argument… En quoi cette démonstration l’enfermerait dans le filet capitaliste ? En fait, le « point » ne sera pas « abordé plus loin » mais tout de suite, sous forme d’une démonstration, en bonne et due forme, de la nature religieuse du capitalisme : « On peut néanmoins d’ores et déjà reconnaître dans le temps présent trois traits de cette structure religieuse du capitalisme ». Benjamin ne cite plus Weber, mais, en fait, les trois points se nourrissent d’idées et d’arguments du sociologue, tout en leur donnant une portée nouvelle, infiniment plus critique, plus radicale – socialement et politiquement, mais aussi du point de vue philosophique (théologique ?) – et parfaitement antagonique à la thèse wébérienne de la sécularisation.
« Premièrement, le capitalisme est une religion purement cultuelle, peut-être la plus extrêmement cultuelle qu’il y ait jamais eu. Rien en lui n’a de signification qui ne soit immédiatement en rapport avec le culte, il n’a ni dogme spécifique ni théologie. L’utilitarisme y gagne, de ce point de vue, sa coloration religieuse [4][4]W. Benjamin, « Le capitalisme comme religion », in W. Benjamin,…. »
7Donc, les pratiques utilitaires du capitalisme – investissement du capital, spéculations, opérations financières, manœuvres boursières, achat et vente de marchandises – sont l’équivalent d’un culte religieux. Le capitalisme ne demande pas l’adhésion à un credo, une doctrine ou une « théologie », ce qui compte ce sont les actions, qui relèvent, par leur dynamique sociale, de pratiques cultuelles. Benjamin, un peu en contradiction avec son argument sur la Réforme et le christianisme, compare cette religion capitaliste avec le paganisme originaire, lui aussi « immédiatement pratique » et sans préoccupations « transcendantes ».
8Mais qu’est-ce qui permet d’assimiler ces pratiques économiques capitalistes à un « culte » ? Benjamin ne l’explique pas, mais il utilise, quelques lignes plus bas, le terme d’« adorateur » ; on peut donc considérer que le culte capitaliste comporte certaines divinités, qui sont l’objet d’adoration. Par exemple : « Comparaison entre les images de saints des différentes religions et les billets de banque des différents États ». L’argent, en forme de papier-monnaie, serait ainsi l’objet d’un culte analogue à celui des saints des religions « ordinaires ». Il est intéressant de noter que, dans un passage de Sens Unique, Benjamin compare les billets de banque avec des « façades de l’enfer » (Fassaden-Architektur der Hölle) qui traduisent « le saint esprit de sérieux » du capitalisme [5][5]W. Benjamin, Einbahnstrasse, in W. Benjamin Gesammelte…. Rappelons que dans la porte – ou la façade – de l’enfer de Dante se trouve l’inscription : « Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate » (« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ») ; selon Marx, ce sont les mots inscrits par le capitaliste à l’entrée de l’usine, à destination des ouvriers. Nous verrons plus loin que, pour Benjamin, le désespoir est l’état religieux du monde dans le capitalisme.
9Cependant, le papier-monnaie n’est qu’une des manifestations d’une divinité autrement plus fondamentale dans le système cultuel capitaliste : l’argent, le dieu Mammon, ou, selon Benjamin, « Pluton… dieu de la richesse ». Dans la bibliographie du fragment est mentionné un virulent passage contre la puissance religieuse de l’argent : il se trouve dans le livre Aufruf zum Sozialismus, du penseur anarchiste juif-allemand Gustav Landauer, publié en 1919, peu avant l’assassinat de son auteur par des militaires contre-révolutionnaires. Dans la page indiquée par la notice bibliographique de Benjamin, Landauer écrit :
Fritz Mauthner (Wörterbuch der Philosophie) a montré que le mot « Dieu » (Gott) est originairement identique avec « Idole » (Götze), et que les deux veulent dire « le fondu » [ou « le coulé »] (Gegossene). Dieu est un artefact fait par les humains, qui gagne une vie, attire vers lui les vies des humains, et finalement devient plus puissant que l’humanité.
Le seul coulé (Gegossene), le seul idole (Götze), le seul Dieu (Gott), auquel les êtres humains ont donné vie, c’est l’argent (Geld). L’argent est artificiel et il est vivant, l’argent produit de l’argent et encore de l’argent, l’argent a toute la puissance du monde.
Qui est-ce qui ne voit pas, qui ne voit pas encore aujourd’hui, que l’argent, que le Dieu n’est pas autre chose qu’un esprit issu des êtres humains, un esprit devenu une chose (Ding) vivante, un monstre (Unding), et qu’il est le sens (Sinn) devenu fou (Unsinn) de notre vie ? L’argent ne crée pas de richesse, il est la richesse ; il est la richesse en soi ; il n’y a pas d’autre riche que l’argent [6][6]Gustav Landauer, Aufruf zum Sozialismus, Berlin, Paul Cassirer,….
11Certes, nous ne pouvons pas savoir jusqu’à quel point Benjamin partageait ce raisonnement de Landauer ; mais on peut, à titre d’hypothèse, considérer ce passage, mentionné dans la bibliographie, comme un exemple de ce qu’il entend par « pratiques cultuelles » du capitalisme. D’un point de vue marxiste, l’argent ne serait qu’une des manifestations – et pas la plus importante – du capital, mais Benjamin était beaucoup plus proche, en 1921, du socialisme romantique et libertaire d’un Gustav Landauer – ou d’un Georges Sorel – que de Karl Marx et Friedrich Engels. Ce n’est que plus tard, dans le Passagenwerk, qu’il va s’inspirer de Marx pour critiquer le culte fétichiste de la marchandise, et analyser les passages parisiens comme « temples du capital marchand ». Cependant, il y a aussi une certaine continuité entre le fragment de 1921 et les notes du grand livre inachevé des années 1930.
12Donc, l’argent – or ou papier – la richesse, la marchandise, seraient quelques unes des divinités, ou idoles, de la religion capitaliste, et leur manipulation « pratique » dans la vie capitaliste courante des manifestations cultuelles, en dehors desquelles « rien (…) n’a de signification ».
13Le deuxième trait du capitalisme « est étroitement lié à cette concrétion du culte : la durée du culte est permanente. Le capitalisme est la célébration d’un culte sans trêve et sans merci. Il n’y a pas de “jours ordinaires”, pas de jour qui ne soit jour de fête, dans le sens terrible du déploiement de la pompe sacrée, de l’extrême tension qui habite l’adorateur. » Il est probable que Benjamin se soit inspiré des analyses de L’éthique protestante sur les règles méthodiques de comportement du calvinisme/capitalisme, le contrôle permanent sur la conduite de vie, qui s’exprime notamment dans « la valorisation religieuse du travail professionnel dans le monde – celui qui est exercé sans relâche, continûment et systématiquement [7][7]Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme,… ». Sans relâche, sans trêve et sans merci : l’idée de Weber est reprise à son compte par Benjamin, au mot près ; non sans ironie d’ailleurs, en citant la permanence des « jours de fête » : en fait, les capitalistes puritains ont aboli la plupart des jours fériés catholiques, considérés comme un stimulant à l’oisiveté. Donc, dans la religion capitaliste, chaque jour voit le déploiement de la « pompe sacrée », c’est à dire des rituels de la Bourse ou de l’Usine, tandis que les adorateurs suivent, avec angoisse et une « extrême tension », la montée ou la chute du cours des actions. Les pratiques capitalistes ne connaissent pas de pause, elles dominent la vie des individus du matin au soir, du printemps à l’hiver, du berceau à la tombe. Comme l’observe bien Burkhardt Lindner, le fragment emprunte à Weber la conception du capitalisme comme système dynamique, en expansion globale, impossible à arrêter et auquel on ne peut pas échapper [8][8]B. Lindner, « Der 11.9.2001 oder Kapitalismus als Religion »,….
14Enfin, le troisième trait du capitalisme comme religion est son caractère culpabilisant : « Le capitalisme est probablement le premier exemple d’un culte qui n’est pas expiatoire (entsühnend) mais culpabilisant. » On peut se demander quel serait, aux yeux de Benjamin, un exemple de culte expiatoire, opposé donc à l’esprit de la religion capitaliste. Comme le christianisme est considéré par le fragment comme inséparable du capitalisme, il se pourrait qu’il s’agisse du Judaïsme, dont le jour férié le plus important est, comme l’on sait, le Yom Kippour, qu’on désigne d’habitude comme « le Jour du Pardon », mais la traduction la plus fidèle serait plutôt « le Jour de l’Expiation ». Il ne s’agit que d’une hypothèse, rien dans le texte ne l’indique.
15Benjamin continue son réquisitoire contre la religion capitaliste : « En cela, le système religieux est précipité dans un mouvement monstrueux. Une conscience monstrueusement coupable qui ne sait pas expier, s’empare du culte, non pour y expier cette culpabilité, mais pour la rendre universelle, pour la faire entrer de force dans la conscience et, enfin et surtout, pour impliquer Dieu dans cette culpabilité, pour qu’il ait en fin de compte lui-même intérêt à l’expiation. »
16Benjamin évoque, dans ce contexte, ce qu’il appelle « l’ambiguïté démoniaque du mot Schuld » – c’est à dire, à la fois « dette » et « culpabilité » (la traduction française, « faute », est inadéquate). Selon Burkhard Lindner, la perspective historique du fragment est fondée sur la prémisse que l’on ne peut pas séparer, dans le système de la religion capitaliste, la « culpabilité mythique » et la dette économique [9][9]B. Lindner, ibid., p..
17On trouve chez Max Weber des raisonnements analogues, qui jouent eux-aussi sur les deux sens de devoir : pour le bourgeois puritain, « ce qu’on consacre à des fins personnelles est dérobé au service de la gloire de Dieu » ; on devient ainsi à la fois coupable et « endetté » envers Dieu. « L’idée que l’homme a des devoirs à l’égard des possessions qui lui ont été confiées et auxquelles il est subordonné comme un intendant dévoué (…) pèse sur la vie de tout son poids glaçant. Plus les possessions augmentent, plus lourd devient le sentiment de responsabilité (…) qui lui commande, pour la gloire de Dieu (…) de les accroître par un travail sans relâche [10][10]M. Weber, L’éthique protestante…, op. cit., p. 230 et 232.. » L’expression de Benjamin « faire entrer la culpabilité de force dans la conscience », correspond bien aux pratiques puritaines/capitalistes analysées par Weber.
18Mais il me semble que l’argument de Benjamin est plus général : ce n’est pas seulement le capitaliste qui est coupable et « en dette » envers son capital : la culpabilité est universelle. Les pauvres sont coupables parce qu’ils ont échoué à faire de l’argent, et se sont endettés : puisque la réussite économique est, pour le calviniste, signe d’élection et de salut de l’âme (cf. Max Weber) le pauvre est, par définition, un damné. La Schuld est d’autant plus universelle qu’elle se transmet, à l’époque capitaliste, de génération en génération ; selon un passage d’Adam Müller – philosophe social romantique/conservateur, critique impitoyable du capitalisme – cité par Benjamin dans la bibliographie :
(…) le malheur économique, qui dans des époques passées, était immédiatement porté (…) par la génération concernée et mourrait avec le décès de celle-ci, est actuellement, depuis que toute action et comportement s’exprime en or, dans des masses de dettes (Schuldmassen) de plus en plus lourdes, qui pèsent sur la génération suivante [11][11]Adam Müller, Zwölf Reden über die Beredsamkeit und deren….
20Dieu se trouve ainsi lui-même impliqué dans cette culpabilité générale : si les pauvres sont coupables et exclus de la grâce, et si, dans le capitalisme, ils sont condamnés à l’exclusion sociale, c’est parce que « c’est la volonté de Dieu », ou, ce qui est son équivalent en religion capitaliste, la volonté des marchés. Bien entendu, si l’on se situe du point de vue de ces pauvres et endettés, c’est Dieu qui est coupable, et avec lui, le capitalisme. Dans un cas comme dans l’autre, Dieu est inextricablement associé au processus de culpabilisation universelle.
21Jusqu’ici on voit bien le point de départ wébérien du fragment, dans son analyse du capitalisme moderne comme religion issue d’une transformation du calvinisme ; mais il y a un passage où Benjamin semble attribuer au capitalisme une dimension transhistorique qui n’est plus celle de Weber – ni de Marx non plus :
Le capitalisme s’est développé en Occident comme un parasite sur le christianisme – on doit le démontrer non seulement à propos du calvinisme, mais aussi des autres courants orthodoxes du christianisme – de telle sorte qu’en fin de compte l’histoire du christianisme est essentiellement celle de son parasite, le capitalisme.
23Benjamin ne livre nullement cette démonstration, mais il cite dans la bibliographie un livre, Der Geist der Bürgerlich-Kapitalistischen Gesellschaft [12][12]Bruno Archibald Fuchs, Der Geist der… dont l’auteur, un certain Bruno Archibald Fuchs, s’efforce – en vain – de démontrer, en polémique avec Weber, que les origines du monde capitaliste se trouvent déjà dans l’ascétisme des ordres monastiques et dans la centralisation papale de l’Église médiévale [13][13]Ibid., p. 14-18..
24Le résultat du processus « monstrueux » de culpabilisation capitaliste c’est la généralisation du désespoir : « Il tient à l’essence de ce mouvement religieux qu’est le capitalisme de persévérer jusqu’au bout, jusqu’à la complète culpabilisation finale de Dieu, jusqu’à un état du monde atteint par un désespoir que l’on espère tout juste encore. Ce que le capitalisme a d’historiquement inouï tient à ce que la religion n’est plus réforme mais ruine de l’être. Le désespoir s’étendant à l’état religieux du monde dont il faudrait attendre le salut. » Benjamin ajoute, en se référant à Nietzsche, que nous assistons à la « transition de la planète homme, suivant son orbite absolument solitaire, dans la maison du désespoir (Haus der Verzweiflung). »
25Pourquoi Nietzsche est il mentionné dans cet étonnant diagnostique, d’inspiration poétique et astrologique ? Si le désespoir est l’absence radicale de tout espoir, il est parfaitement représenté par l’amor fati, « l’amour du destin » prêché par le philosophe au marteau dans Ecce Homo : « Ma formule pour la grandeur de l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni dans l’avenir, ni dans le passé, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter de supporter l’inéluctable (…) mais l’aimer. »
26Certes, il n’est pas question de capitalisme chez Nietzsche. C’est le nietzschéen Max Weber qui va constater, avec résignation – mais pas nécessairement avec amour – le caractère inéluctable du capitalisme comme destin de l’époque moderne. C’est le sens des dernières pages de L’éthique protestante, où Weber, constate, avec un fatalisme pessimiste, que le capitalisme moderne « détermine, avec une force irrésistible, le style de vie de l’ensemble des individus nés dans ce mécanisme – et pas seulement de ceux que concerne directement l’acquisition économique ». Cette contrainte il la compare à une sorte de prison, où le système de production rationnelle des marchandises enferme les individus : « Selon les vues de Baxter, le souci des biens extérieurs ne devait peser sur les épaules de ses saints qu’à la façon d’un “léger manteau qu’à chaque instant l’on peut rejeter”. Mais la fatalité a transformé ce manteau en une cage d’acier [14][14]M. Weber, L’éthique protestante…, op. cit., p. 222-225.. » Il existent diverses interprétations ou traductions de l’expression stahlhartes Gehäuse : pour certains, il s’agirait d’une « cellule », pour d’autres d’une carapace comme celle que porte l’escargot sur son dos. Il est cependant plus probable que l’image soit emprunté par Weber à la « cage de fer du désespoir » du poète puritain anglais Bunyan [15][15]Cf. Edward A. Tiryakian, « The Sociological Import of a….
27Haus der Verzweiflung, Stallhartes Gehäuse, Iron cage of despair : de Weber à Benjamin nous nous trouvons dans un même champ sémantique, qui décrit l’impitoyable logique du système capitaliste. Mais pourquoi est-il producteur de désespoir ? On peut proposer différentes réponses à cette question :
28– Tout d’abord parce que, comme nous l’avons vu, le capitalisme, se définissant lui-même comme la forme naturelle et nécessaire de l’économie moderne, n’admet aucun avenir différent, aucune issue, aucune alternative. Sa force est, écrit Weber, « irrésistible », et il se présente comme un destin (fatum) inévitable.
29– Le système réduit la grande majorité de l’humanité à des « damnés de la terre », qui ne peuvent pas attendre leur salut de Dieu, celui-ci étant lui-même impliqué dans leur exclusion de la grâce. Coupables de leur propre destin, ils n’ont droit à aucune espérance de rédemption. Le Dieu de la religion capitaliste, l’Argent, n’a aucune pitié pour ceux qui n’ont pas d’argent…
30– Le capitalisme est « ruine de l’être », il substitue l’être par l’avoir, les qualités humaines par les quantités marchandes, les rapports humains par des rapports monétaires, les valeurs morales ou culturelles par la seule valeur qui vaut, l’argent. Ce thème n’apparaît pas dans le fragment, mais il est largement développé par les sources anti-capitalistes, socialistes/romantiques, que Benjamin cite dans sa bibliographie : Gustav Landauer, Georges Sorel – ainsi que, dans un contexte conservateur, Adam Müller. Il est à noter que le terme utilisé par Benjamin, Zertrümmerung, est apparenté avec celui qui décrit, dans la thèse IX « Sur le concept d’histoire », les ruines suscitées par le progrès : Trümmern.
31– La « culpabilité » des humains, leur endettement envers le Capital étant perpétuel et croissant, aucun espoir d’expiation n’est permis. Le capitaliste doit constamment croître et élargir son capital, sous peine de disparaître face à ses concurrents, et le pauvre doit emprunter de l’argent pour payer ses dettes.
32– Selon la religion du capital, le seul salut réside dans l’intensification du système, dans l’expansion capitaliste, dans l’accumulation des marchandises, mais cela ne fait qu’aggraver le désespoir. C’est ce que semble suggérer Benjamin avec la formule qui fait du désespoir un état religieux du monde « dont il faudrait attendre le salut ». ( ...., .... )
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NDLR / CAPITALISME ET EVOLUTION SOCIETAIRE
STAGNATION DES DOGMES ET DES CONDITIONS POLITIQUES
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Ainsi, la religion capitaliste, pour assurer son salut éternel, repose sur une doctrine d'extansion permanente des frontières du marché, l'inflation permanente de la masse monétaire réglée par des petits rois faisant la pluie et le beau temps, mais surtout sur l'éccélération perpétuelle des cycles économiques. Mais on parle juste de survie du système, de maintient des fonctions vitales ... en éludant les enjeux humains, politiques ou sociétaux. C'est tout le problème. C'est à ce prix ultime d'aliénation de l'homme à son service que le système peut survivre sans tomber dans une crise systèmique de contradiction menant cycliquement à la guerre des empires ou à l'effondrement des places financières. Mais cela, personne ne peut le dire, l'avouer officiellement car cet aveu imposerait de tout revoir ... faisant tomber les maîtres du monde, tapis dans l'ombre des régimes pseudo-républicains..
Aussi dois-je le dire : Le capitalisme n'existe que pour lui même et au profit de la caste qui l'anime et impose de manière intrinsèque une stagnation des dogmes économiques, culturels et cultuels ( maintient ou basculement en parallèle des dogmes sur un nouveau registre élitiste ). L'ensemble est intimement lié dans un équilibre instable comme le serait un château de carte sur lequel s'exerce une pression constante sur le dernier étage. Or, le monde physique, les enjeux d'adaptation du vivant et des sociétés humaines imposent de revoir notre modèle sociétaire afin de satisfaire aux nouveaux défis de civilisation : Le capitalisme ne peut plus y satisfaire car sa doctrine impose implicitement, non seulement la rareté et la concentration des capitaux mais de plus la stagnation des dogmes politiques qui assurent son environnement, son cadre d'épanouissement idéal.
La société capitaliste mime habilement le consensus et le partage des pouvoirs mais il n'en est rien : Faire le bilan des possessions financières et bancaires privées dans le monde suffirait à le prouver mais ce décompte réel est volontairement rendu impossible ou mensonger. Les citoyens comprendraient alors la réalité du système ... le mensonge global qui se glisse derrière les paradis fiscaux, secret et bastion jalousement gardé par toute la classe politque, complice des maîtres du monde. Cette confiscation feutrèe du réel est un autre point faible rédhibitoire du capitalisme : La démocratie du futur ne peut avoir cours dans un régime capitaliste financier globalisé ou 1% de la population détient 90 % des richesses monétaires.
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2, Les partis politiques, comme les syndicats et les corps intermédiaires sont de véritables entreprises élitistes
.... servant à brider, étouffer, encadrer la parole du peuple
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3- Les religions sont-elles devenues des sectes et des corporations hiérarchisées
servant la cause et justifiant le pouvoir politique ?
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3- A : Religion et pouvoir
https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2009-4-page-23.htm
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Dans sa recherche de puissance, il est souvent fort utile à un État d’instrumentaliser les religions et, parmi les plus puissants, rares sont ceux qui s’en sont privés. En effet, la création d’affinités religieuses transnationales, ainsi que l’établissement de centres de pouvoir religieux soumis à une hiérarchie, officielle ou diffuse, dont le centre se trouve situé au sein de l’État dominant, sont des instruments privilégiés de puissance.
2Il existe à travers l’histoire différentes formes d’instrumentalisation de la religion par les États. Ces formes sont dépendantes de la nature changeante des croyances et dogmes du fait des interprétations divergentes des textes, mais aussi de la période historique et de ses caractéristiques en matière de relations entre les nations, États et structures impériales.
3La religion sert aussi bien d’instrument de domination interne à une société que d’extension d’influence et d’hégémonie à l’étranger. Plus l’usage externe de la religion sera fort, plus il devra aussi être étendu à l’ordre interne. Mais la relation pouvant aussi jouer en sens inverse, des dictateurs, invoquant des valeurs ou des dogmes religieux pour légitimer leur pouvoir interne, peuvent déclencher des guerres externes pour consolider ce pouvoir.
4Nous avions crû être débarrassé de cette instrumentalisation de la religion depuis les progrès accomplis en matière de liberté de conscience grâce à la Renaissance européenne puis à la philosophie des Lumières, ainsi que grâce à l’extension des principes républicains à la française à l’ensemble du monde. Par la suite, ce sentiment avait été renforcé par la disparition du Califat musulman dans le sillage de l’effondrement de l’Empire ottoman au début du XXe siècle, ainsi que par la renaissance des lettres et des arts chez les Arabes et l’œuvre immense d’une série de grands réformateurs religieux musulmans entre 1820 et 1950.
Instrumentalisation de l’exclusivisme monothéiste
5L’apparition et l’affirmation du monothéisme dans le monde païen antique du Proche-Orient et de l’Europe a eu divers conséquences [2][2]Voir Georges Corm, Contribution à l’étude des sociétés…. Notamment, si les structures théologiques du paganisme se prêtaient facilement à intégrer dans le panthéon officiel du peuple dominant les Dieux des peuples vaincus, conquis ou entrés dans l’orbite d’une puissance impériale, la structure théologique du monothéisme prohibe de tels arrangements. La croyance dans un Dieu unique ne permet pas de syncrétismes polythéistes.
6L’Ancien Testament est d’ailleurs rempli de récits épiques où les notions de guerre sainte et de devoir d’extermination des polythéistes n’adorant pas le Dieu unique font leur apparition. Si le christianisme primitif veut mettre fin à la distinction entre juifs et gentils, grecs et barbares et donc refuse cet aspect violent de l’Ancien Testament, sitôt institué dans l’ordre politique au IVe siècle, cette religion de l’amour prêchée par le Christ retombe dans l’exclusivisme religieux et l’imposition du dogme par la force de la loi.
7Le paganisme des anciens égyptiens ou babyloniens avait aussi fait usage de la religion dans l’ordre politique, mais ce sont les épisodes de l’Ancien Testament qui ont véritablement donné la matrice de base de la théocratie : le gouvernement des juges ou docteurs de la Loi veillant à la stricte application de la loi divine ou le roi incarnant la légitimité religieuse de l’État. Ainsi, les religions du Livre pourront servir de façon bien plus redoutable que le paganisme d’instrument de pouvoir interne et de conquêtes des autres peuples. Le « Livre » est en effet censé être la parole du Dieu unique, son commandement aux hommes pour faire régner le bien et la justice. S’y opposer c’est braver l’ordre établi du monde voulu par son créateur. Aussi, le pouvoir qui prétend faire régner l’ordre au nom du « Livre », Ancien Testament, Évangiles, Coran, trouve-t-il le moyen de s’emparer des esprits et de les dominer. Les premiers écrits des commentateurs du Livre ou des livres sacrés, ainsi que l’histoire des comportements des grands prophètes et des formes premières de gouvernement au nom de la religion, deviennent la référence obligée pour établir fermement l’État et la classe dirigeante avec à sa tête un dictateur.
8Certes, les trois monothéismes ont eu des parcours différents. Tout pouvoir au nom du judaïsme a disparu, écrasé par la montée en puissance de l’ordre chrétien en Orient avec le pouvoir des empereurs de Byzance, comme en Occident avec Rome et l’institution de l’Église, puissance spirituelle qui entend régenter tous les pouvoirs temporels.
9L’islam, dernier né des monothéismes, aura une attitude moins exclusive que les deux premiers. En effet, il reconnaît dans les prophètes, d’Abraham au Christ, ses propres ancêtres et garantit aux « gens du Livre » le libre exercice de leur culte s’ils ne montrent pas d’hostilité à la nouvelle religion. Celle-ci est censée venir compléter et achever définitivement l’aventure monothéiste débutée par Abraham. Le pouvoir chrétien à Byzance ou à Rome n’aura pas une telle vision lui permettant d’accepter l’existence de juifs et de musulmans au sein de son territoire sans les pousser à embrasser la « vraie foi ».
Permanence d’un messianisme pouvant servir des ambitions de puissance
10La religion n’est jamais un bloc immuable de pratiques, de dogmes, de rituels et d’exégèse des textes sacrés, fixé pour toujours. Elle est ce que les hommes en font. L’islam et le christianisme ont connu en particulier de très nombreuses métamorphoses, sans parler des schismes qui les ont déchirés et qui ont produit des façons diverses de croire et de pratiquer. C’est ainsi que le christianisme des premiers siècles est totalement différent de celui de la papauté dans toute sa splendeur et la plénitude de son pouvoir...
11De même en islam la liberté d’exégèse du texte coranique a d’abord produit une floraison d’interprétations, d’écoles philosophico-mystiques et de pratiques de cette religion. Cette liberté dura jusqu’au XIIe siècle lorsque les conquérants turcs s’efforcent de régner en imposant une interprétation unique de la parole coranique (celle dite de la sunna). Toutefois, les formes différentes d’islam perdurent jusqu’à aujourd’hui, malgré les répressions qui ont pu s’abattre sur leurs adhérents à certaines époques. Mais comme dans le christianisme, l’islam de la fin du XXe siècle est tout à fait différent de celui du début de ce siècle et les nouvelles formes rigoristes ou radicales d’islam étaient inconnues il y a quelques décennies seulement. Cette métamorphose de la pratique de l’islam peut être attribuée à des raisons de puissance géopolitique, facilitée par un changement brutal des structures sociopolitiques à l’intérieur du monde arabe. Le judaïsme, lui aussi, s’est exprimé sous des formes très différentes suivant les époques et ses lieux d’implantation.
12Mais, malgré ces évolutions internes aux religions, un archétype biblique perdure au fond de l’inconscient collectif des sociétés monothéistes. Il se manifeste de façon ouverte ou sous-jacente par la croyance en l’existence d’un peuple exceptionnel choisi par Dieu (ou le destin historique), qui engendre des prophètes (ou des grands conquérants ou des grands philosophes), lesquels l’appellent à accomplir une mission mystique et religieuse (ou civilisatrice) pour sauver l’humanité.
13Cet archétype peut servir toutes les ambitions de puissance. Il a perduré même après la vague de sécularisation entraînée par les révoltes protestantes et la laïcité républicaine à la française [3][3]Georges Corm, Orient-Occident. La fracture imaginaire, Paris,…. Il s’est en effet perpétué dans les messianismes des grands nationalismes européens, dans la mission civilisatrice qu’ils se sont attribués pour légitimer la colonisation des autres peuples, enfin dans les idéologies messianiques telles que le marxisme pour qui le prolétariat est l’équivalent du peuple choisi et Marx son principal prophète, mais aussi dans les totalitarismes européens du XXe siècle.
14La matrice de ces totalitarismes est bien fabriquée par l’archétype biblique qui se sécularise, mais qui reste caractérisé par la pulsion messianique conquérante. La révolte protestante, si elle affaiblit la puissance de l’Église romaine, procède elle-même à un retour au pouvoir théocratique, dont le modèle est puisé dans l’Ancien Testament. D’un côté, les guerres de religion entre catholiques et protestants produisent le principe du « cujus regio, ejus religio » en vertu duquel les sujets d’un prince doivent nécessairement suivre la religion de leur souverain ou bien quitter leur demeure ancestrale. C’était annuler tous les progrès faits en matière de liberté de conscience. D’un autre côté, le luthérianisme, tout en respectant le pouvoir politique laïc, lui impose de faire respecter par tous les sujets les prescriptions contenues dans les écritures. Quant au calvinisme, il établit une théocratie absolue et un règne de terreur au nom de la religion [4][4]On se réfèrera ici à la remarquable analyse de la dictature de….
Le triomphe éphémère de la laïcité dans l’ordre international au XXe siècle
15Ainsi, rétrospectivement, le XXe siècle apparaît comme un siècle où triomphe la laïcité, où s’épanouit un internationalisme cosmopolite, tel que préconisé par Emmanuel Kant, à travers la constitution de la Société des nations, puis l’Organisation des Nations unies et la condamnation du colonialisme. C’est aussi le siècle où éclatent hors d’Europe des révolutions modernistes et républicaines qui ébranlent partout les vieilles structures sociopolitiques et leurs légitimations par des dogmes religieux. C’est aussi le siècle où le dernier Califat musulman, celui des Turcs ottomans, est définitivement aboli ; c’est encore, jusque dans les années 1970, le siècle du réformisme musulman qui fait de nombreux adeptes permettant une libération progressive de la femme qui obtient dans certains pays le droit de vote plus tôt que dans des pays européens ; c’est le siècle où la plupart des pays musulmans abandonnent les systèmes d’enseignement consacrés à l’étude du Coran et des jurisprudences religieuses (la sharia) pour les remplacer par des systèmes modernes.
16C’est aussi le siècle où la monarchie chinoise de l’Empereur du Ciel s’effondre, cependant qu’en Inde une république laïque et fédérative est bâtie avec succès, sur les décombres de l’ancien empire décadent des Moghols tombé aux mains du colonialisme britannique.
17C’est encore le siècle où les pays nouvellement indépendants de leurs maîtres coloniaux se regroupent dans le Mouvement des non-alignés qui ne revendique aucune identité religieuse, mais uniquement le droit d’être indépendant de l’URSS et des États-Unis, en compétition pour la domination mondiale.
18En Europe aussi, qui se définit par ses racines gréco-romaines et donc de nature laïque, la confusion des valeurs politiques et religieuses n’est guère à l’ordre du jour. Les États-Unis d’Eisenhower, de Nixon, de Kennedy ou de Johnson ne donnent pas de signes particuliers de ferveur religieuse. Le général de Gaulle en France ou Konrad Adenauer en Allemagne n’invoquent pas non plus des valeurs religieuses. Les grands mouvements étudiants européens ou américains des années 1960 sont tous pacifiques, anti-impérialistes et laïcs.
19Aussi est-il intéressant de comprendre comment le monde a pu basculer en l’espace de quelques courtes décennies d’une géopolitique d’où était absente l’invocation des valeurs religieuses, des civilisations et des cultures à un monde où les dirigeants n’arrêtent pas d’invoquer leur rapport à Dieu, leur attachement à des valeurs religieuses et à des civilisations transnationales, plus imaginaires que réelles.
Cinq évènements annonçant le déclin de la vision laïque du monde
20En réalité, derrière son apparence laïque, l’évolution du monde du XXe siècle a comporté des évènements dont personne ne mesurait les conséquences sur le plan d’une préparation à une nouvelle ère d’instrumentalisation des religions monothéistes.
Le succès du wahhabisme saoudien en islam
21Le premier de ces évènements est le succès de la révolution fondamentaliste de l’islam d’une petite tribu arabe bédouine du centre de la péninsule arabique au Nedjd. Cette révolution conquérante réussit en 1924 par la prise militaire de La Mecque dans le Hedjaz. Cette conquête résulte d’une alliance du sabre et du turban : celle de la famille des Saoud et des descendants du prédicateur Mohammed Ibn Abdel Wahhab qui a fondé une pratique ultra-puritaine et sévère de l’islam, dénommée le wahhabisme. Depuis la fin du XVIIIe siècle, cette alliance a tenté en vain de réunifier les musulmans sous son étendard et de créer une théocratie où seul le texte coranique sert de Constitution. Le contexte agité de la fin de la Première Guerre mondiale et les intrigues de la diplomatie britannique pour dominer le monde arabe créent les circonstances favorables à cette prise de pouvoir [5][5]En particulier, le désir britannique de se débarrasser de la….
22Le royaume d’Arabie saoudite prend définitivement forme et est reconnu internationalement entre 1925 et 1930. Une police religieuse est créée qui sert de support au pouvoir absolu des Saoud et qui surveille les bonnes mœurs, veille à ce que tous aillent faire leur prière cinq fois par jour, s’assure du port intégral du voile par les femmes, les isole entièrement de la société des hommes. C’est une réplique de la société fondée par Calvin à Genève quelques siècles plus tôt.
23L’Arabie saoudite, dès sa naissance, est un État dont l’idéologie est exclusivement religieuse et qui a pour but de combattre l’athéisme, notamment marxiste et soviétique. Il a aussi pour objectif de freiner la modernisation du royaume et des pays voisins et pour vocation de combattre le réformisme musulman moderniste en phase avec les valeurs humanistes européennes. Outre les soviétiques, l’ennemi majeur du royaume est donc le nationalisme arabe laïc, car dans son idéologie, le seul nationalisme possible est celui de l’unité de tous les musulmans (l’Oumma au sens religieux du terme). Avant même que l’Arabie saoudite ne devienne un géant pétrolier, deux décennies plus tard, un tel programme ne pouvait que trouver l’assentiment des grandes puissances européennes de l’époque, elles aussi antisoviétiques et hostiles à toutes les formes de nationalisme moderniste et anticolonialiste.
La sécession des musulmans de l’Inde
24Le second évènement intervient quelques années plus tard, lorsque les élites musulmanes de l’Inde veulent faire sécession de l’Union indienne pour former un État fondé sur l’identité religieuse. La main du colonialisme britannique n’est probablement pas étrangère à cette attitude, car les dirigeants hindous, en particulier Nehru et Gandhi, n’ont épargné aucun effort pour rassurer leurs concitoyens musulmans. La sécession a lieu en 1947 et donne naissance à l’État du Pakistan qui regroupe des musulmans aux origines ethniques les plus diverses. En 1970, les Bengali font sécession par une guerre elle aussi meurtrière, créant le Bangladesh, ce qui montre bien d’ailleurs que le lien religieux n’est pas suffisant pour former une nation.
25Le Pakistan, après le coup d’État militaire du général Zia Ul Haq en 1977, applique la sharia islamique avec la plus grande sévérité et devient un allié majeur des États-Unis et de l’Arabie saoudite. Le pays développe aussi l’arme atomique sans que cela ne lui vaille la moindre sanction de la part des États-Unis et des autres pays occidentaux [6][6]Attitude qui contraste fortement avec les sanctions prises….
26L’Organisation des Nations unies, dont pourtant le discours est laïc et qui invoque la liberté de conscience et de culte comme liberté essentielle de l’homme, a reconnu sans difficulté l’État du Pakistan, puis son gouvernement d’islam radical issu du coup d’État de juillet 1977.
Le sionisme et la création de l’État d’Israël
27Le troisième évènement est la constitution de l’État d’Israël en 1947-48. Déjà en 1922, le texte accordant mandat sur la Palestine à la Grande-Bretagne [7][7]Celle-ci obtient aussi un mandat sur l’Irak, cependant que la… mentionne l’obligation pour la puissance mandataire d’y œuvrer à la création d’un « foyer national juif », terme inconnu dans le langage du droit international. Le document reprend le contenu de la fameuse Déclaration de Balfour de 1917 par laquelle le ministre des Affaires étrangères anglais promettait à Lord Rothschild d’œuvrer pour la création de ce foyer juif en Palestine, en réalité un embryon d’État.
28L’idéologie nationaliste juive (ou sionisme politique par opposition au sionisme mystique), née dans des cercles d’intellectuels viennois de la fin du XIXe siècle, est le produit de l’ère des nationalismes européens, du socialisme et de l’antisémitisme. Le regroupement des juifs de diverses cultures et nationalités européennes dans un État-nation est considéré par les fondateurs du mouvement sioniste comme le seul remède possible à l’antisémitisme européen, qui explose à cette période.
29D’abord marginale dans le judaïsme lui-même, la concrétisation rapide de la construction d’un Etat pour les Juifs apparaîtra de plus en plus comme la seule solution possible aux souffrances des Juifs européens, au fur et à mesure que leur situation se dégrade et qu’Hitler s’empare de l’Europe. En choisissant la Palestine comme lieu du foyer national juif, les premiers sionistes, eux-mêmes forts peu religieux, voir même souvent athées, redonnent vie à une lecture émotionnelle et littéraliste de l’Ancien Testament. La découverte de l’ampleur du génocide des communautés juives d’Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale achève d’imprimer un caractère sacré à l’entreprise de construction d’un État qui a pour vocation de défendre et d’affirmer l’existence du judaïsme sur le plan international.
30Les Nations unies s’efforceront d’accommoder les principes laïcs du droit international qui ne connaît, en matière de religion, que l’affirmation de la liberté de conscience, avec le fait d’avoir à promouvoir une existence étatique nouvelle se réclamant exclusivement d’une religion. Mais la série de résolutions que produit l’organisation sur le conflit qui a forcément éclaté entre population juive immigrée d’Europe et population arabe de souche palestinienne ne produit pas d’effet, les puissances occidentales s’abstenant de faire pression sur le nouvel État israélien.
La création de l’Organisation de la conférence des États islamiques
31Le quatrième évènement intervient au début des années 1970, avec la création sous la houlette de l’Arabie saoudite et du Pakistan de l’Organisation de la conférence des États islamiques (OCEI), ce qui ne suscite pas la moindre réserve de l’Organisation des Nations unies ou des grands puissances occidentales. L’OCEI se pose tout de suite en concurrent du Mouvement des non-alignés, créé en 1955, et de la Ligue des États arabes, créée en 1945, qui expriment des revendications anti-coloniales et anti-impérialistes sur le mode profane. La Ligue arabe est née en tant qu’organisation régionale exprimant les intérêts des États dont la langue officielle est l’arabe et dont les peuples, voisins géographiquement, ont partagé une histoire commune et aspirent à construire une solidarité.
32L’OCEI reflète la puissance pétrolière montante et la nouvelle richesse financière de l’Arabie saoudite, ainsi que l’influence de plus en plus agissante des prédicateurs wahhabites soutenus et financés par le royaume sur tous les continents où existent des communautés musulmanes. La pratique de l’islam sunnite dans le monde se radicalise, contrastant avec le libéralisme et le réformisme musulman de la période précédente. Lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, une mobilisation très rapide de cet islam permet de constituer le noyau d’une internationale islamiste combattante qui recrute des jeunes, les entraîne militairement et idéologiquement, et les envoie se battre contre l’Armée rouge en Afghanistan. Le héros de cette résistance islamique à l’athéisme et au colonialisme soviétique est le riche héritier d’une famille saoudienne, le fameux Oussama Ben Laden.
La révolution religieuse iranienne : un malentendu géopolitique majeur
33Le cinquième grand évènement intervient à la fin des années 1970, il s’agit de la « révolution religieuse islamique » en Iran, qui mobilise l’islam chiite. À l’inverse du wahhabisme, elle reprend les anciens concepts marxistes du prolétariat exploité et de l’impérialisme occidental, mais en les transcrivant dans un langage fort qui fait appel à des expressions coraniques, ce qui stimule l’imaginaire politique et, pour certains, religieux. La dictature des docteurs de la loi qui est instituée en Iran sur le pouvoir des civils (la fameuse wilayat fakih ou contrôle des docteurs de la loi religieuse) semble encore plus que le modèle saoudien directement sortie du modèle de Calvin à Genève.
34En fait, cette révolution est née d’un malentendu géopolitique majeur. Le Shah d’Iran étant discrédité et malade, les États-Unis et leurs alliés européens cherchent une alternative qui empêche le puissant parti communiste iranien Tudeh, ainsi que les autres partis anti-impérialistes, de prendre le pouvoir. L’imam Khomeiny est alors sorti de son exil en Irak, installé près de Paris à Neauphle-le-Château – où les médias du monde entier viendront couvrir ses déclarations incendiaires contre le Shah –, puis ramené triomphalement en Iran dans un avion affrété par le gouvernement français. Les stratèges islamologues occidentaux ont naïvement pensé qu’ils avaient affaire avec une nouvelle forme de puritanisme à la wahhabite, hostile à l’athéisme et au marxisme, mais nullement à la puissance américaine. Pas plus que n’a été prise en compte l’éventualité du développement chez les Iraniens de sentiments anti-israéliens et de sympathie pour la tragédie des Palestiniens.
35À la même époque, nous assistons au renouveau catholique à partir de la Pologne et à l’émergence des nouveaux évangélistes aux États-Unis. Par la suite, après les attentats du 11 septembre 2001, les vocabulaires politico-religieux s’enrichiront de l’expression « islamo-fascisme » et George W. Bush, tout comme Tony Blair ou Silvio Berlusconi se diront inspirés par Dieu dans leur décision d’envahir l’Irak en 2003 et n’avoir de comptes à rendre qu’à ce dernier.
Sortir du cercle vicieux de l’instrumentalisation du religieux
Restaurer la séparation entre espace public et privé
36Nous avons assisté tout au long du XXe siècle à l’effondrement progressif de la morale laïque, causé par des évènements spécifiques. Cet effondrement est devenu possible parce que le monde des médias comme celui de la recherche académique ou des philosophes au goût du jour s’est mis lui aussi à révérer l’invocation du « retour de Dieu » en politique et à s’en émerveiller.
37De plus, la séparation entre l’espace privé et l’espace public disparaît avec l’irruption de la télévision dans tous les foyers. Nouvel espace public, les médias y font étalage des sphères privées et de leurs états d’âme identitaires que la globalisation sans frontières du monde réveille et stimule. L’espace public citoyen se rétrécit, de ce fait, comme une peau de chagrin au profit de mises en scène des identités religieuses ou ethniques, de recherche de racines perdues, de la promotion de tous ceux qui se disent animés par la foi religieuse et ses exigences. L’esprit de la morale républicaine cesse de s’exercer sur ce nouvel espace public qui désormais sert à promouvoir, à titre de nouveau spectacle, des terroirs religieux ou ethniques perdus, plus imaginaires que réels, auprès de toute personne en mal de racines, marginalisée, exploitée ou mal intégrée dans son propre pays ou dans un pays d’émigration. Le refuge dans la communauté religieuse, ainsi que la pratique ostentatoire d’un formalisme rituel vestimentaire ou alimentaire ou encore la fréquentation régulière des lieux de culte, ainsi qu’une solennité accrue et fortement médiatisée donnée aux grandes fêtes religieuses, deviennent des modes auxquelles il est difficile d’échapper.
Lutter contre la prétention des États à être les gardiens des religions
38À l’intérieur même des monothéismes, les différences s’accentuent entre les Églises ou entre les diverses façons d’interpréter l’islam. L’État d’Israël prétend parler au nom des diverses communautés du judaïsme. L’Arabie saoudite et l’Iran ne sont pas en reste pour ce qui est de l’islam, sunnite pour le premier et chiite pour le second, chacun prétendant incarner la psychologie collective de tous les musulmans à travers le monde. Les États occidentaux adoptent le dogme d’une unité de civilisation réalisée grâce à une identité judéo-chrétienne et aux valeurs qu’elle sécrèterait, cependant que les nouveaux évangélistes américains sont à l’avant-garde d’une lecture littéraliste de la Bible et du Nouveau Testament, qui a abouti à cet appui massif de la colonisation des territoires occupés par Israël, dans la croyance eschatologique que le rassemblement des Juifs du monde entier en Palestine est le signe du retour proche du Christ dans le monde. De même, il est demandé aux peuples non européens, étrangers aux rapports houleux entre le christianisme et le judaïsme européens, de participer à la mémoire de l’Holocauste comme s’ils avaient été parties prenantes du génocide et devaient aussi en supporter la responsabilité.
39Religion, civilisation, identité constituent donc un triangle conceptuel en dehors duquel plus rien ne peut être analysé en matière de géopolitique internationale. Même le nouveau président américain, Barack Obama, s’adresse au Caire, en juin 2009, à tous les musulmans du monde, comme s’il s’agissait d’une seule et même nation avec une psyché collective unique pour tous ses membres.
Lutter pour le rétablissement de la crédibilité d’un droit international profane
40C’est dans un tel contexte que les principes du droit international sont désormais appliqués de façon différente suivant l’identité religieuse des États et leur relation d’hostilité ou de soumission aux puissances occidentales. L’Arabie saoudite est honorée en dépit de son régime politico-religieux, l’Iran soumis à la réprobation générale et aux sanctions. Un mouvement de résistance à une occupation ou à une oppression sera appuyé par les Nations unies et les puissances occidentales, ou dénoncé ailleurs comme mouvement terroriste, comme en Palestine occupée. Les sanctions aux infractions au droit international et au droit humanitaire sont prises selon des considérations d’opportunité politique. Cette évolution perverse s’accompagne de la perte du sens de la notion de « citoyen » de sa patrie, mais aussi du monde. Plus le religieux est instrumentalisé, plus il sert de légitimation à des actes de gouvernement dans l’ordre interne comme dans l’ordre international, moins les citoyens et leurs représentants osent discuter, contrôler et mettre en cause de tels actes. Nous sommes dans un cercle vicieux qu’il n’est guère facile de casser.
Accélérer la relève des générations
41Peut-être faut-il que la génération des dirigeants actuels qui ont si mal géré le monde, politiquement, militairement, comme économiquement et socialement, s’éteigne pour qu’une génération nouvelle se lève qui refusera cette démission de l’esprit critique et cet abus de religion qui corrompt à la fois la religion et le pouvoir qui l’instrumentalise.
42Peut-être aussi que chrétiens et juifs reconnaîtront que l’islam ne leur est pas aussi étranger qu’ils le pensent, puisqu’il s’abreuve aussi aux sources premières du monothéisme et surtout que le wahhabisme politique à la saoudienne ou que l’islam chiite incarné dans le régime iranien ne sont pas l’essence de cette religion et encore moins les représentants et tuteurs des musulmans dans le monde. Peut-être aussi en viendra-t-on à considérer que l’État d’Israël ne peut pas être le représentant des juifs du monde entier et parler en leur nom et que le destin des Israéliens est de vivre avec les Palestiniens dans un État assurant l’égalité de tous quelles que soient leurs origines ethniques et religieuses. Peut-être enfin en viendra-t-on à considérer que des États n’ont aucun droit de se poser en promoteurs ou représentants d’un ordre religieux transnational, ce qui assurerait non seulement à nouveau l’épanouissement de la liberté de conscience, mais supprimerait aussi une source majeure de la montée de tous les fanatismes auxquels nous assistons impuissants depuis quelques décennies.
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Pouvoir et religion : des liens historiques traditionnels
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Les liens entre États et religions sont anciens. Ils ont pris plusieurs formes. L'enjeu étant de conférer une dimension sacrale au pouvoir politique tout autant que de permettre à une religion de bénéficier de l'appui de l'État. Ces rapports à double sens ont conduit à des relations complexes entre les deux protagonistes. Ceux-ci peuvent aller de la théocratie, lorsque le chef religieux est aussi un chef politique, jusqu'à la soumission du politique au religieux, ou vice versa. Depuis le xviiie siècle, l'idée d'une séparation plus nette entre champs politique et religieux est apparue en Europe occidentale, avant de se diffuser. Par ailleurs, ce rapport du politique au religieux s'inscrit dans des cadres différents, suivant le degré d'adhésion et de ferveur des populations. Afin de mieux percevoir les enjeux, l'étude de situations historiques spécifiques permet de comprendre dans quels héritages s'inscrivent les situations juridiques actuelles de religion d'État, de séparation des Églises et de l'État et de laïcité.
L'association des pouvoirs religieux et politique : l'exemple des califes
Un chef politique et religieux
Dans l'islam, le calife est le chef politique, militaire et spirituel des musulmans. Son magistère religieux s'accompagne ainsi également d'un pouvoir absolu et de sa légitimité à mener des conquêtes militaires au nom de l'islam, à l'image de l'action du prophète Mohamed. Il exerce également son pouvoir politique sur les non-musulmans habitant dans l'Empire. Les califes sont considérés comme les successeurs de Mohamed. Le pouvoir califal se met en place après sa disparition, au viie siècle, avec de nombreuses querelles opposant les partisans d'Ali (gendre et cousin de Mohamed et quatrième calife) et les Omeyyades. Cette divergence liée au pouvoir militaire induit aussi un schisme religieux, les partisans d'Ali étant appelés chiites, ceux des Omeyyades, sunnites.
Les pouvoirs du calife
Le calife dispose de nombreux pouvoirs. Du point de vue religieux, il peut diriger la prière et le prêche est prononcé en son nom. Il dispose, au sein de la mosquée, d'un espace réservé, souvent dissimulé aux regards par des cloisons de bois. Les califes ont, à plusieurs reprises, pris des décisions religieuses précisant la foi musulmane. Ainsi, ils interviennent aux viie et viiie siècles pour définir une version écrite du Coran. Ils sont également les juges suprêmes au sein de l'Empire arabe, rendant les décisions au nom de la charia. Leur administration est composée d'émirs, qui, dans chaque province de l'Empire, dirigent l'administration en leur nom. Deux édifices majeurs matérialisent le pouvoir califal dans l'espace public : le palais et la grande mosquée. Ce fut le cas à Damas pour les Omeyyades, où la grande mosquée bâtie au viiie siècle existe toujours. Les califes abbassides, de 750 à 1248, font édifier la ville de Bagdad, de plan circulaire, avec leur palais au centre.
Des contestations politiques et religieuses
La légitimité politique et religieuse des califes n'a pas empêché des contestations. On a déjà parlé des guerres entre les partisans d'Ali et les Omeyyades. Plusieurs dynasties de califes se sont succédé. Vers 750, les Abbassides prennent le pouvoir. Une période de fragmentation du pouvoir califal intervient cependant dès le viiie siècle. Dans certaines provinces, des envahisseurs venus d'Asie centrale, ou encore des émirs locaux établissent des royaumes indépendants reprenant, sur leur territoire, les pouvoirs du calife, faisant ainsi éclater l'Empire arabe. À partir de 1516, ce n'est plus un Arabe, mais un Turc qui exerce la charge de calife : le sultan ottoman Sélim Ier règne alors sur un Empire ayant conquis à la fois l'Empire byzantin et la plupart des territoires majoritairement peuplés d'Arabes. Depuis la déposition du dernier sultan ottoman par la République turque en 1924, il n'y a plus de calife et l'islam sunnite s'est organisé dans le cadre des différents États où cette religion est pratiquée. Certains souverains musulmans sont toujours dépositaires de l'héritage du pouvoir califal au sein de leur royaume, comme le roi du Maroc.
Exercice n°1
L'Empire byzantin ou le césaropapisme
Le césaropapisme
Dans l'Empire byzantin, la situation est différente. L'empereur protège et contrôle l'Église, mais il ne dispose pas de pouvoir de nature religieuse. Ceux-ci sont assumés par le patriarche de Constantinople, principale autorité religieuse au sein de l'Empire et chef de sa religion officielle, le christianisme orthodoxe. Toutefois, une dimension religieuse marque le pouvoir impérial, puisque l'empereur nomme le patriarche. On parle ainsi, au sujet de l'empereur, de césaropapisme.
Des rapports complexes entre l'Église et l'empereur
Constantin présente le plan de la ville de Constantinople à la Vierge, Église Sainte Sophie, vers l'an 1000
L'Empire byzantin est l'Empire romain d'Orient, dont la capitale est Constantinople. Il a survécu à la chute de l'Empire d'Occident, en 476. L'empereur Justinien, au vie siècle, reconquiert même une partie de l'Italie. L'Empire perpétue des formes politiques issues de l'Empire romain, des formes héritées de l'Empire encore unifié et déjà christianisé de Constantin et de Théodose, au ive siècle. L'empereur est désormais appelé Basileus, le mot grec signifiant roi, puisque cette partie de l'Empire est hellénophone. Il est désigné par l'armée, mais il est couronné par le patriarche de Constantinople, qui est l'évêque de la capitale. L'empereur s'engage à défendre la foi chrétienne. En retour, il est considéré comme le « lieutenant du Christ » sur la Terre. Son pouvoir va s'en trouver sacralisé. Il dispose d'un espace spécifique à l'église. Lorsqu'il donne audience, il apparaît après son dévoilement par un rideau, alors qu'une prosternation – ou proskynèse – est imposée à ses visiteurs. Il nomme le patriarche de Constantinople et, s'il ne dirige pas l'Église, il exerce ainsi sur elle un contrôle important.
Les contestations entre politique et religion
Les rapports entre autorités politiques et religieuses sont toutefois souvent très tendus à Byzance. Certains patriarches ont soutenu des révoltes visant à renverser l'empereur pour placer sur le trône un autre candidat à l'Empire, considéré comme plus favorable. Certains basileus ont déposé des patriarches considérés comme hérétiques ou hostiles à leur pouvoir. La complexité de ces relations éclate au grand jour lors de la crise iconoclaste, de 726 à 843. Certains empereurs interdisent la vénération des images dans les églises. La politisation de cette crise religieuse aboutit à d'incessantes guerres civiles, avant que les partisans des images ne s'imposent. Après la chute de Constantinople, le césaropapisme en tant que tel survit au sein de l'État russe, seul État orthodoxe après la conquête ottomane. En tant que notion montrant la soumission du religieux par le politique, qui tire toutefois de lui sa légitimité, le terme est employé également en Occident pour désigner certaines situations.
Exercice n°2Exercice n°3
En Occident, l'affirmation du pouvoir temporel et spirituel : l'exemple du couronnement de Charlemagne
En Occident, le pouvoir religieux et le pouvoir politique connaissent une évolution différente en s'affirmant tous les deux de manière plus autonome.
Pouvoir du pape, restauration impériale
La disparition de l'Empire romain en 476 laisse la place à des royaumes barbares. Le pape, à Rome, dispose de la primauté sur tous les évêques d'Occident. À la différence du patriarche de Constantinople, il n'est pas nommé par une autorité politique. Il est élu par les principaux prêtres de la ville, appelés cardinaux. Il possède donc une autonomie qui fait défaut au patriarche de Constantinople. En revanche, il n'est pas protégé par un souverain temporel. Théoriquement, la ville de Rome est censée être protégée par l'empereur byzantin, mais lorsque les Lombards envahissent l'Italie, au viiie siècle, Byzance, occupée à endiguer l'invasion arabe, ne peut intervenir. Le pape fait alors appel au roi des Francs, Pépin le Bref, pour sauver son autorité. Pépin accorde au pape un territoire en Italie centrale, qui devient les États pontificaux et dont le Vatican actuel est le lointain héritier. Le pape est donc, dans ses États, chef politique et religieux, instituant ainsi une théocratie. Dans les autres États, il exerce le pouvoir spirituel sur ses fidèles. Le pape peut également légitimer le pouvoir d'un souverain temporel. En l'an 800, le pape Léon III fait appel à Charlemagne, roi des Francs, fils de Pépin le Bref, pour l'aider face aux Lombards qui menacent son État. En remerciement, le pape couronne Charlemagne empereur d'Occident, le 24 décembre de la même année. Il crée ainsi une situation inédite : le pape s'arroge le droit de choisir l'empereur, à l'inverse de ce qui se passe à Byzance. En échange, Charlemagne protège le pape et s'engage à diffuser la foi dans les territoires qu'il conquiert, comme la Saxe.
La lutte du sacerdoce et de l'Empire
Dans ce système théocratique, le pape est ainsi celui qui possède le pouvoir spirituel, qu'il conserve et le pouvoir temporel, qu'il délègue (théorie des deux glaives). Tout au long des xiie et xiiie siècles, les empereurs du Saint Empire romain germanique tentèrent de se libérer de cette tutelle du pape et les papes tentèrent de la conserver, en utilisant l'arme de l'excommunication, les sujets de l'empereur n'étant plus censés lui obéir s'il était l'objet de cette sanction.
Les héritages du rapport entre le pape et les souverains en Occident
Cependant, dans la plupart des royaumes de l'Occident chrétien, le souverain ne dépend pas du pape. En France, par exemple, l'institution de la cérémonie du sacre, par Pépin le Bref, permet au roi d'être sacré à Reims, avec une onction de l'huile de la sainte ampoule, sans que ni l'Église, ni le pape n'aient à choisir le souverain. Toutefois, ces rois peuvent toujours être frappés par une excommunication s'ils s'opposent au pouvoir spirituel du pape. À l'époque moderne, certains rois choisissent ainsi le protestantisme pour se libérer de cette tutelle et devenir eux-mêmes chefs ou protecteurs des Églises, comme le fit Henri VIII en Angleterre. En France, Louis XIV choisit de rester catholique, tout en gardant un important pouvoir temporel sur l'Église, dans le cadre du gallicanisme. Le sacre est alors utilisé pour montrer que le roi est élu par Dieu, suivant le principe de la monarchie de droit divin.
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3 - B : Religion et équilibre psychique de l'humanité.
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Psychanalyse collective : Nécessité ou billevesée ?
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Il est un fait que notre histoire collective est composée d'un enchevétrement de passif guerrier, sanguinaire, génocidaire et meurtrier. Personne ne le dit ouvertement, mais chaque peuple veut prendre sa revanche et détruire son ennemi d'antan ... ou de toujours. Et cela jusqu'à quand ? Sommes-nous des animaux imbéciles et primaires, condamnés aux guerres d'empire pour l'éternité ? Il faut changer les données de fond pour briser la spirale infernale du chaos destructeur. Nos éléments culturels, cultuels et insituttionnels ne font que reproduire à l'infini l'écho d'un défaut ( bug ) inscrit dans les données initiales de la matrice :
Il faut tout revoir.
Comment procéder ? Je ne vois qu'une solution, d'envergure : Une psychanalyse collective à l'échelle mondiale par l'intermédiaire du "Collectif Citoyen Universel". Il s'agit de réinitialiser la matrice pour repartir sur des bases saines et selon des mécanismes politiques et économiques novateurs, ... ne faisant plus appel à l'appat du gain, la compétition, la division et la concurrence. Seule les aurotités religieuses peuvent entreprendre ce type de travail, mais à condition d'initier la démarche sur un nouveau tableau d'entrée : Le culte ne doit plus être considéré comme la finalité de la démarche spirituelle mais uniquement comme étant la base d'un nouveau travail collectif. Il s'agit de repartir sur les bases communes et partégées pour trouver de nouvelles perspectives par l'intermédiaire d'une institution de dialogue de niveau mondial.
Un vaste programme que les maîtres du monde ( politiques et sommet de la sphère cultuelle ), cupides et autres ordures égoïstes mettront à mal par tous les moyens : Il en va de leur position sociale pour vous maintenir comme esclave à leur service.
Seuls les citoyens peuvent initier progressivement cette démarche pa la voie associative : Une démarche convergente à l'image de la construction d'une toile d'araignée.
Date de dernière mise à jour : 12/06/2023